Notre expert
Raymond Soubie
Président Alixio Group
Un an après les importantes mobilisations contre la réforme des retraites, et alors que le « quoi qu’il en coûte » semble appartenir à un passé définitivement révolu et qu’un nouveau tour de vis s’annonce du côté de l’assurance-chômage, comment se porte le dialogue social dans un pays dont l’économie est gagnée par la morosité ambiante ? Décryptage avec Raymond Soubie, président d’Alixio Group.
En l’absence d’uniformisation des régimes – ce que la première réforme des retraites Macron avortée prévoyait – nous sommes condamnés à répéter la séquence des réformes paramétriques tous les quatre à cinq ans.
Notre expert
Raymond Soubie
Président Alixio Group
Un an après les importantes mobilisations contre la réforme des retraites, et alors que le « quoi qu’il en coûte » semble appartenir à un passé définitivement révolu et qu’un nouveau tour de vis s’annonce du côté de l’assurance-chômage, comment se porte le dialogue social dans un pays dont l’économie est gagnée par la morosité ambiante ? Décryptage avec Raymond Soubie, président d’Alixio Group.
En l’absence d’uniformisation des régimes – ce que la première réforme des retraites Macron avortée prévoyait – nous sommes condamnés à répéter la séquence des réformes paramétriques tous les quatre à cinq ans.
Quelle est votre lecture du climat social actuel en France ?
Raymond Soubie. Tout dépend de ce que vous entendez par là, car l’expression « climat social » est en elle-même très ambiguë. Si vous la prenez au sens strict, le climat est plutôt bon. Les conflits sont assez rares, et même les périodes de négociations salariales qui auraient pu voir apparaître un certain nombre de tensions dans un contexte inflationniste se sont passées sans trop d’encombre… Sur ce plan, c’est une période plutôt calme.
En revanche, si vous envisagez l’expression au sens large – l’humeur générale de la société française – alors c’est tout l’inverse : c’est un climat très dégradé, marqué par les incertitudes internationales et le décrochage de l’économie européenne, notamment par rapport aux Etats-Unis. Même l’économie allemande est aujourd’hui à la peine ! La France, pour sa part, affiche une croissance en berne, une chute préoccupante de la productivité ainsi qu’une balance commerciale déficitaire malgré les performances de quelques secteurs exportateurs historiques comme le luxe.
Forcément, ce climat pèse sur le moral des Français, qui sont mécontents de leurs dirigeants – sans que cela profite par ailleurs aux oppositions – et voient les principaux services publics qui dysfonctionnent alors même que les déficits s’envolent… C’est donc la morosité qui domine.
Comment expliquez-vous que cette morosité ambiante ne pèse pas négativement sur la qualité du dialogue social ?
Raymond Soubie. Peut-être parce que le dialogue social, au sens institutionnel du terme, a lieu entre des organisations – syndicats, organisations patronales et État – dont l’intérêt même est de dialoguer ! Cela peut sembler une lapalissade, mais la remarque a son importance. Comment se portent aujourd’hui les acteurs du dialogue social ?
Les syndicats ont connu des jours meilleurs : ils sont confrontés à la baisse de leurs effectifs, au vieillissement de leurs représentants au sein des entreprises et à une baisse de la reconnaissance de la part des citoyens depuis une dizaine d’années.
Les organisations patronales, qui font à la fois la promotion du monde de l’entreprise auprès de l’opinion publique et défendent les intérêts de ce dernier face à l’État, se portent un peu mieux. Il est aujourd’hui très clair que le patronat entend continuer de jouer pleinement son rôle dans la cogestion des régimes paritaires. De ce point de vue, il est un partenaire des organisations syndicales, à plus forte raison quand les uns comme les autres doivent composer avec un État qui aimerait reprendre la main sur la gestion desdits régimes. Le Président de la République n’a en effet jamais caché son scepticisme vis-à-vis de la gestion paritaire au niveau national… Mais syndicats comme patronat tiennent bon et considèrent qu’il n’y a aucune raison de penser que l’État ferait un meilleur gestionnaire.
Le paritarisme a de beaux jours devant lui, non seulement parce qu’il est dans l’intérêt des partenaires sociaux qu’il perdure, mais aussi et surtout parce que dans une société fracturée, ce point de contact régulier, cette logique de « cogestion » sur certains sujets entre syndicats et patronat, assure une fonction essentielle.
La dernière réforme des retraites a suscité une importante mobilisation contre elle. Où en sommes-nous maintenant qu’elle entre en application ?
Raymond Soubie. Tout d’abord, il faut rappeler que cette réforme des retraites était nécessaire : le régime général est en déficit structurel pour des raisons de démographie. Le problème, c’est que cette réforme ne règle pas la question au-delà de 2028… Une nouvelle réforme des retraites s’imposera donc à l’horizon 2028.
Au cours des 40 dernières années, les réformes des retraites ont ou bien joué sur le recul de l’âge, ou bien sur la durée de cotisation. Traditionnellement, jouer sur le second paramètre provoque moins de soubresauts. Seules deux réformes ont d’ailleurs pris le parti de reculer l’âge de départ.
En l’absence d’uniformisation des régimes – ce que la première réforme Macron avortée prévoyait – nous sommes condamnés à répéter la séquence des réformes paramétriques tous les quatre à cinq ans… À moins d’aller vers un système par capitalisation ? Mais je ne nous vois pas changer de système du tout au tout dans les 10 ans qui viennent.
Qu’en est-il de la réforme de l’assurance-chômage d’ores et déjà annoncée par le gouvernement ?
Raymond Soubie. Là encore, il faut bien comprendre l’objectif. S’agit-il d’une question financière, de réduire le déficit ? Ou s’agit-il d’inciter les chômeurs à reprendre un emploi ? En particulier, puisque nous parlons des retraites, l’un des objectifs est de pousser les seniors à rester au travail, ou à en retrouver un, jusqu’à la retraite.
Est-ce que cela va fonctionner ? La politique de l’emploi ne peut pas se penser en marge de la politique économique : c’est la conjoncture économique qui permet d’abord de faire baisser le taux de chômage. Or, avec la croissance en berne, la balance commerciale déficitaire et la productivité qui décroche, nous nageons en pleine incertitude.
Comment cela se traduit-il sur le moral des entreprises ?
Raymond Soubie. Dans l’ensemble, le moral n’est pas mauvais. Mais il faut distinguer les grands groupes qui se portent généralement bien de même que les start-ups, des PME traditionnelles, qui trop souvent partent au tapis.
Mais au-delà des questions conjoncturelles, ce sont des enjeux structurels de grande ampleur qui sont devant nous : je pense notamment au choc de l’intelligence artificielle, qui est non seulement une question technologique, mais a également un impact imminent sur le fonctionnement humain des organisations. Ce choc, nous l’appréhendons encore mal : les entreprises doivent s’y préparer dès maintenant.
« Le choc de l’IA, nous l’appréhendons encore mal, mais les entreprises doivent s’y préparer dès maintenant ».
Raymond Soubie
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