Le SMIC ne serait pas un salaire décent
Dans une interview donnée au journal le Parisien en avril dernier, Florent Menegaux, président de Michelin, annonçait que le groupe allait généraliser un « salaire décent » sur l’ensemble de ses sites de production dans le monde. Il ajoutait que « le smic n’est pas un salaire décent ».
Selon la définition de l’OIT, un salaire décent correspond au « niveau de salaire nécessaire pour assurer un niveau de vie décent aux travailleurs et à leur famille, compte tenu de la situation du pays et calculé pour le travail effectué pendant les heures normales de travail ». Il va donc varier d’une région du monde à l’autre : 37 347 réals – pour un salaire minimum à 16 944 réals – au Brésil, et en Chine, 69 312 yuans (à comparer au salaire minimum à 29 040 yuans). Soit entre 1,5 fois et 3 fois le salaire minimum. Sont concernés 5% des 132 000 salariés du groupe (6 600 personnes dans le monde).
L’annonce avait relancé le débat sur la question des bas salaires dans un contexte social tendu. Rappelons que la part des travailleurs au Smic a atteint le niveau record de 17,3% en 2023 (contre 12% en 2021 et 14,5% en 2022).
Quelle est la portée d’une telle annonce ?
Michelin – qui a toujours fait figure d’exception dans le tissu économique tricolore – pourrait-il engager un mouvement de plus grande ampleur ?
- Le coût horaire du travail dans notre pays figure déjà parmi les plus élevés d’Europe : beaucoup d’entreprises risquent de se montrer moins généreuses… notamment celles qui emploient une main d’œuvre peu qualifiée et payée au salaire minimum.
- N’y a-t-il pas un risque de creuser le fossé entre grands groupes et PME/ETI, les premiers pouvant se permettre davantage d’action sur les bas salaires que les secondes ? Dans un environnement économique en phase de ralentissement, marqué par la guerre des talents, la question est tout sauf anodine…
- Le salaire décent varie en fonction de la zone considérée. D’un pays à l’autre… mais aussi d’une ville à l’autre ! Michelin annonce un salaire décent de 39 638 euros bruts par an à Paris (environ le double du smic) et de 25 356 euros bruts à Clermont-Ferrand (+20% par rapport au smic). Égalité ou équité ?
- Quelles seront les réactions des partenaires sociaux si le déploiement du salaire décent s’accompagne de restructurations de sites pour maintenir la compétitivité globale ?
Que recouvre le vocable salaire ?
- S’agit-il du seul salaire de base ou du salaire minimal conventionnel ? Si tel est le cas, on écarte de nombreux éléments monétaires qui viennent compléter la rémunération directe des salariés : les primes d’ancienneté qui sont versées par certaines conventions collectives aux non cadres, d’autres primes fixes diverses et variées, les primes variables ou de rendement dont peuvent bénéficier les premiers niveaux de maîtrise, la Prime de Partage de la Valeur qui, en 2023, représentait 1000€ en moyenne selon l’enquête NAO d’Alixio Group, voire les primes d’intéressement et de participation que les salariés peuvent percevoir ou placer dans le plan d’épargne pendant 5 ans.
- Dans le maquis français des éléments de rémunération – fixe et variable, directe ou différé – le salaire ne résume pas toute la rémunération, loin s’en faut.
Désmicardisation et coût du travail
- Dès lors une des solutions serait de refondre dans le salaire l’empilement de primes diverses et variées qui ont été accordées au fil du temps, afin de redonner au salaire le niveau réel auquel il doit correspondre. On verrait alors que, déjà dans beaucoup d’entreprises, les salariés bénéficient d’un salaire beaucoup plus « décent » qu’ils ne l’imaginent.
- L’initiative de Michelin, même si elle est isolée pour l’instant, a une vertu : c’est une proposition du monde de l’entreprise face aux enjeux de désmicardisation et de coût du travail, qui peuvent devenir rapidement inflammable dans notre pays. Elle ne constitue pas cependant la solution à tous les problèmes liés aux trappes à bas salaire : le gouvernement l’a bien compris en annonçant, dans son Projet de Loi de Finance, une augmentation des charges patronales des salariés payés au SMIC, ceci afin « d’inciter notamment les employeurs à rehausser les salaires les plus bas – cette fameuse désmicardisation tant attendue », comme le dit le ministre du budget Laurent Saint Martin.
Refondre dans le salaire l’empilement de primes diverses et variées qui ont été accordées au fil du temps, permettrait de redonner au salaire le niveau réel auquel il doit correspondre.
Pour aller plus loin
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Retrouvez les résultats de notre dernière grande enquête trimestrielle Inflation & Salaire.
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