Notre experte
Camille Fernoux-Coutenet
Psychologue Cheffe de projet QVCT
Pas si simple … Faire place à la neurodiversité en entreprise
En quelques années, la question de la neurodiversité s’est imposée dans le débat public.
S’il reste encore un long chemin à parcourir pour les personnes qui vivent au quotidien avec un trouble de l’attention ou encore un syndrome d’Asperger, il reste un espace où le sujet reste encore largement tabou : le monde de l’entreprise. Pour longtemps ? Rien n’est moins sûr !
Notre experte
Camille Fernoux-Coutenet
Psycholohue Cheffe de projet QVCT
Pas si simple … Faire place à la neurodiversité en entreprise
En quelques années, la question de la neurodiversité s’est imposée dans le débat public.
S’il reste encore un long chemin à parcourir pour les personnes qui vivent au quotidien avec un trouble de l’attention ou encore un syndrome d’Asperger, il reste un espace où le sujet reste encore largement tabou : le monde de l’entreprise. Pour longtemps ? Rien n’est moins sûr !
De quoi parle-t-on vraiment quand on évoque la « neurodiversité » ?
La notion recouvre les troubles tels que le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), le HPI (haut potentiel intellectuel), les troubles dys (dyslexie, dyspraxie, etc.) ou encore les troubles du spectre autistique.
Troubles, et pas pathologies : on ne saurait trop insister sur cette distinction. « Le concept de neurodiversité a été formulé au début des années 90, donc assez récemment. D’ailleurs, en France, quand on se penche sérieusement sur le sujet, on est très vite obligé de se tourner vers la littérature anglo-saxonne ! », précise Camille Fernoux Coutenet, psychologue et cheffe de projet QVCT chez ACCA.
Un concept qui a à peine plus de trente ans, mais qui désigne une réalité autrement plus ancienne : « La neurodiversité, cela décrit tout simplement la variation naturelle des modes de pensée et des manières de fonctionner qui s’écartent de la norme. Or, pendant longtemps, la vision dominante était celle du handicap : il s’agissait de comprendre et de diagnostiquer les troubles pour mieux les faire rentrer dans la norme. Avec la neurodiversité, l’idée sous-jacente est qu’il est préférable d’accueillir cette diversité, et que c’est à la société d’évoluer pour rendre cela possible », ajoute Camille.
Un renversement de perspective, en effet, d’autant plus nécessaire qu’on estime qu’environ 20% de la population entre dans la catégorie neurodiverse. 10% ont fait l’objet d’un diagnostic ; les autres ont dû s’adapter seuls. « À titre de comparaison, dites-vous que les gauchers représentent 15% de la population, et qu’il nous semble tout à fait naturel de nous adapter à ces derniers… Mais pour les neurodivers, pourtant plus nombreux ? Nous n’en sommes qu’au tout début ! ».
Manager la neurodiversité : défi ou opportunité ?
Et ces « neurodivers », comment s’adaptent-ils au monde de l’entreprise ?
La question commence à peine à être formulée dans ces termes. Ainsi, le groupe Carrefour a récemment communiqué sur le lancement d’un vaste plan à destination de ses collaborateurs et collaboratrices affectés de troubles dys. D’autres ont décidé de prendre le sujet à bras le corps, à l’exemple du CEA, qui a sollicité ACCA pour concevoir et animer une formation afin de sensibiliser sur le sujet et apprendre à mieux manager les neurodivers : « Dans certains métiers comme la recherche ou l’ingénierie de pointe, la neurodiversité est sans doute surreprésentée. Ce qui prouve bien que les profils neuroatypiques, avec leur manière singulière de voir le monde et de résoudre les problèmes, représentent une vraie richesse pour les organisations… à condition de savoir les manager ! », explique encore Camille.
Mission impossible ? Loin s’en faut, mais il faut y prêter une attention particulière. Cela passe dans certains cas par des aménagements individuels : une personne dyslexique peut utiliser un logiciel comme Windows Narrator ou un stylo de lecture ; un Asperger peut parfaitement travailler en open space, à condition qu’on lui fournisse un casque à suppression active du bruit ou qu’on lui permette de moduler l’intensité lumineuse du bureau ; pour un TDAH, la meilleure option consiste à lui attribuer un îlot indépendant et à éviter de l’installer à côté d’une fenêtre (mais attention, l’isoler dans un bureau fermé est un remède encore pire que le mal !). Autre exemple : les HPI, qui doivent absolument voir la « big picture » pour rester motivés, et ont aussi tendance à demander toujours davantage de travail pour compenser leur manque de confiance en eux, parfois jusqu’au point de rupture. Autant de points qu’il vaut mieux garder à l’esprit quand on est amené à manager de tels profils.
L’inclusion passe aussi par des ajustements collectifs. Camille rappelle ainsi que « de nombreuses études scientifiques ont démontré que certaines polices de caractères sont de véritables cauchemars pour les personnes dyslexiques, quand d’autres comme l’Arial ou le Times New Roman leur facilitent grandement la vie ». Dans le même ordre idée, il faut savoir que l’impression en noir et blanc – à laquelle nous sommes toutes et tous invités à recourir massivement pour d’évidentes raisons écologiques – pose d’énormes difficultés aux dyslexiques. Or, le simple fait de choisir du papier blanc cassé et d’utiliser de l’encre bleu change radicalement la donne.
« Prenez encore le cas des personnes atteintes d’un trouble attentionnel : pour ces dernières, capter toute l’information lors d’une réunion peut constituer un vrai défi. Mais si l’on prend l’habitude de partager en amont un ordre du jour bien défini ou même simplement les documents essentiels, ou encore d’éviter les « point informels » à répétition, on fait un pas vers elles… Et honnêtement, ce sont des habitudes de travail à prendre qui bénéficieront in fine à tous les collaborateurs de l’entreprise, non ? », interroge la psychologue.
Vers une révolution culturelle ?
Le chemin de la reconnaissance n’est peut-être pas si loin qu’on ne le pense. Au sein des entreprises, il existe une véritable fracture entre les anciennes générations pour lesquelles les diagnostics n’existaient tout simplement pas, et qui ont donc dû s’adapter à la dure, et les nouvelles générations, qui ont pu bénéficier d’une forme de reconnaissance et d’aménagements particuliers. C’est ce que suggère Camille : « Il y a parfois de l’incompréhension, et un gros besoin de compensation après des décennies d’ignorance plus ou moins entretenue. Aujourd’hui, la tendance est un peu à la multiplication des diagnostics, avec parfois quelques excès… Car l’idéal, à terme, serait de construire des sociétés – et des entreprises – suffisamment inclusives pour qu’il n’y ait pas besoin de se coller une étiquette pour pouvoir y trouver sa place et travailler normalement ».
Un horizon souhaitable, car à n’en pas douter, la neurodiversité constitue un véritable atout pour les entreprises qui sauront l’appréhender correctement. La pensée en arborescence des HPI peut donner des résultats inattendus. Les Asperger ont généralement un nombre de centres d’intérêts très restreints, mais ils sont surtout incollables dessus. Les TDAH sont des gens qui ont souvent dû inventer des moyens détournés pour se concentrer, et qui excellent dans le multitasking. Les personnes neurodivers peuvent aborder les problèmes sous un angle différent, apportant des solutions novatrices et différenciantes. Leur seule présence dans une équipe permet d’améliorer la diversité des idées et des perspectives et développe au sein des membres de l’équipe l’attention à l’autre et la solidarité.
Et Camille de conclure : « Le problème, c’est qu’en France, nous visons systématiquement une forme de polyvalence absolue : on préfère pousser les gens à corriger leurs points faibles plutôt qu’à maximiser leurs points forts. Si cela ne marche pas de façon générale, c’est encore pire avec les neuroatypiques ! Demandez à un dysgraphique de passer sa journée à répondre à des mails ou à un TDAH de faire du contrôle qualité sur une chaîne de production, vous les mettez forcément en situation d’échec. Mais mettez le premier, qui a dû compenser son trouble par une excellence à l’oral, dans un rôle de commercial, et le second sur un poste de vente dans un commerce de détail, et vous obtiendrez de tout autres résultats ! ».
La neurodiversité, de ce point de vue, est une invitation à recruter des personnes plutôt qu’à chercher à systématiquement cocher les cases d’une fiche de poste. Certainement pas pour abaisser son niveau d’exigence, mais plutôt pour trouver d’autres manières d’atteindre les exigences en question. Avec à l’horizon une société qui n’impose plus une norme unique, mais qui accueille et accepte toutes les normes dans leur diversité. En somme, c’est une occasion pour l’entreprise de bâtir une culture inclusive et de renforcer son engagement en responsabilité sociale.
Pour aller plus loin
ACCA Professionnels, spécialiste en Santé au travail & QVCT, au sein d’Alixio Group, réalise des diagnostics et de la sensibilisation sur tous les sujets de la neurodiversité en entreprise.
La neurodiversité est une invitation à recruter des personnes plutôt qu’à chercher systématiquement à cocher toutes les cases d’une fiche de poste.
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