Accueil | Perspectives & Actualités | L’IA en entreprise : Interview d’Erik Campanini

19/02/2025

L’IA en entreprise : Interview d’Erik Campanini

Notre expert

Erik Campanini

Erik Campanini

Associé

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’impact social et environnemental de l’IA ?

Le point de réflexion de départ c’est : « Qu’est ce que l’IA peut apporter dans l’entreprise ? ».

Cette question vient des 25 ans de mon activité de conseil et d’accompagnement des entreprises. 25 années passées à trouver des leviers de croissance . Naturellement, la partie technologique a pris sa part au débat à la croisée des chemins entre l’impact business et tech.  Il y a eu une accélération avec le digital et encore une autre accélération avec l’IA en entreprise.

Notre expert

Erik Campanini

Erik Campanini

Associé Alixio Group

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’impact social et environnemental de l’IA ?

En fat, le point de réflexion de départ est : « Qu’est-ce que l’IA peut apporter dans l’entreprise ? »

Cette question vient des 25 ans de mon activité de conseil et d’accompagnement des entreprises. 25 années passées à trouver des leviers de croissance . Naturellement, la partie technologique a pris sa part au débat à la croisée des chemins entre l’impact business et tech.  Il y a eu une accélération avec le digital et encore une autre accélération avec l’intelligence artificielle.

Quels sont les signes pour vous de l’accélération de l’IA en entreprise ?

L’intelligence artificielle en elle-même n’est pas un sujet nouveau, elle existe depuis les années 50. Ce qui s’est accéléré, c’est sa démocratisation d’utilisation.  

L’intelligence artificielle qui juste là a été réservée plutôt à des experts, des data scientists, des supers mathématiciens s’est brutalement démocratisée par l’introduction de l’intelligence artificielle générative.

La puissance algorithmique est offerte à tous.  Ça s’est traduit par un certain nombre d’usages en entreprise qui posent – et c’est ça qui est absolument passionnant –  des questions plus organisationnelles, sociales et sociétales.

Quels sont les principaux enjeux liés à l’IA pour les entreprises ?

 Il y a d’abord un enjeu de productivité et de performance. Comment puis-je rendre les activités plus précises, quelle que soit ma position dans l’organisation ? Il y a donc un enjeu business et de motivation économique dans cette dynamique.

Ce qui est intéressant, mais aussi préoccupant, c’est que nous abordons l’intelligence artificielle sous un angle technologique, comme si nous introduisions une technologie parmi d’autres dans l’organisation.

Historiquement, nous avons introduit des innovations techniques pour soutenir ou augmenter le travail humain, comme avec la mécanisation. Cependant, nous nous trompons d’approche en réduisant l’IA à une simple question technologique. C’est avant tout un sujet social, un sujet politique et de politique d’entreprise.

L’introduction et la généralisation de l’intelligence artificielle posent de réels risques, comme l’ont montré plusieurs études, y compris une menée dans les pays du Nord, connus pour leur prise en compte des dimensions sociales. Ces études révèlent des risques psychosociaux, une surveillance abusive, une réduction de l’autonomie et une fragmentation des fonctions.

Un chiffre cité par Franca Salis Madinier du CESE (Comité Economique Social et Environnemntal Européen)  illustre bien cette tendance : en 2023, la CNIL a reçu 16 000 plaintes pour abus liés à l’IA, contre seulement 2 000 en 2020. Cela montre bien que la question ne se limite pas au business, mais inclut aussi des valeurs sociales fondamentales dans l’entreprise.

L’IA n’est-elle pas, d’une certaine manière, le miroir de toutes les inquiétudes et fantasmes technologiques de nos sociétés ?

Je ne sais pas si l’IA est le miroir de tous les fantasmes, mais je pense que nous nous trompons de débat en polarisant à l’extrême les opinions.

D’un côté, il y a ceux qui voient l’IA comme une avancée révolutionnaire, un facteur de progrès et d’innovation, voire comme le futur collègue ou patron des travailleurs.

De l’autre, il y a ceux qui la perçoivent comme une menace, une source de précarisation et un risque majeur pour l’emploi.

Or, le débat doit être bien plus nuancé. Entre ces deux extrêmes, il y a de nombreux aspects à considérer, notamment l’impact sur l’organisation du travail et la nécessité d’un dialogue social fort. Si nous ne mettons pas en place un dialogue structuré sur l’intelligence artificielle au sein des entreprises, nous tomberons dans la caricature.

Vous parlez de dialogue social, mais n’y a-t-il pas une IA des salariés et une IA des dirigeants ?

Il y a un certain nombre d’études qui montrent aujourd’hui, notamment une étude menée par Artefact, que grâce à l’IA, on gagne en moyenne 57 minutes par jour. Gartner, de son côté, parle plutôt d’une fuite de productivité. En effet, ces 57 minutes, on pourrait les réinvestir de manière productive. Ce que j’ai entendu vendredi dernier, c’était formidable : ces 57 minutes gagnées par jour pourraient être réinvesties dans du dialogue et des échanges qualitatifs avec mes collègues. D’accord, mais est-ce une vision trop optimiste ? Parce qu’en réalité, Gartner parle de fuite de productivité, c’est-à-dire qu’on gagne du temps, mais ce temps n’est pas forcément réinvesti minute pour minute dans autre chose qui a de la valeur pour l’entreprise. C’est pourquoi il est essentiel que le dialogue social se mette en place pour se poser la question : d’accord, il y a des gains de productivité, qui peuvent être massifs selon les métiers – certains gagnent une heure, d’autres jusqu’à trois heures par jour – mais si on ne se questionne pas sur l’organisation, les compétences, la reconnaissance du travail, et comment cette évolution s’inscrit dans le temps, on passe à côté de l’essentiel.

C’est un enjeu majeur de transformation organisationnelle et de structuration du travail. Si cette réflexion n’est pas menée correctement, on risque d’aboutir à une exploitation déséquilibrée de ces gains de productivité, et c’est là que le dialogue social joue un rôle central.

Aujourd’hui, les partenaires sociaux ont un temps de retard dans ce débat, laissant le monde de la tech dicter les règles ?

Effectivement, le dialogue social est encore timide. Alors que dans le domaine des plateformes numériques, des dérives ont déjà été observées, notamment avec le management algorithmique, la question de l’IA dans les entreprises classiques est encore insuffisamment abordée.

Peu d’accords ont été signés et il y a un réel besoin de monter en compétences sur ces sujets. Ce n’est pas seulement une question pour les instances représentatives du personnel, mais aussi pour l’ensemble des managers.

Il existe également un enjeu éthique, encadré par des réglementations comme l’AI Act, mais la vitesse d’évolution des technologies est telle que la législation peine à suivre. D’où la nécessité d’un dialogue social fort, afin de rétablir un climat de confiance. Si l’IA est perçue comme une boîte noire, elle génère de la défiance et perturbe profondément le dialogue au sein des entreprises. L’IA en soi n’a rien de responsable. C’est son usage qui l’est.

La véritable question est donc : quelle est la finalité de son utilisation ? Veut-on réduire le nombre d’emplois ? Améliorer la qualité du travail ? Trouver un équilibre entre bénéfice économique et impact social et environnemental ? L’IA nous offre une formidable opportunité de repenser l’organisation du travail, mais cela nécessite un dialogue structuré et inclusif.

Peut-on réellement avoir une IA responsable en entreprise, alors même que les enjeux RSE peinent à progresser ?

Oui, un usage responsable de l’IA est possible, à condition de mettre en place un dialogue social efficace.

Il faut également se poser les bonnes questions sur la gouvernance de l’IA : quelles décisions peuvent être déléguées à la machine ? Quels garde-fous instaurer ? Comment s’assurer que l’humain garde le contrôle final sur les décisions ? Par ailleurs, si les collaborateurs ne sont pas formés à comprendre comment l’IA fonctionne, ils risquent de suivre aveuglément ses recommandations, ce qui pose un véritable problème.

L’IA nous offre une véritable opportunité de repenser l’organisation du travail, mais cela nécessite un dialogue social structuré et intensif.

Que peut-on faire concrètement pour avancer ?

Il y a plusieurs leviers d’action :

  • Renforcer le dialogue social en impliquant tous les acteurs concernés.
  • Définir des points de repère via un observatoire transpartisan des usages responsables de l’IA.
  • Reconnaître les compétences en IA et aider les entreprises à structurer leur approche.
  • Valoriser les bonnes pratiques, par exemple en mettant en avant les entreprises qui réussissent à trouver un équilibre entre performance économique, impact social et responsabilité environnementale.

Le sujet de l’IA n’est donc pas uniquement technologique : c’est avant tout un sujet social et politique au sein de l’entreprise.

Dans la même thématique…